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Tribune: Piques et répliques à Laurent Bigot

  • Par Aboubakar K. LALO Professeur (France)
  • 13 oct. 2016
  • 7 min de lecture

Je ne connais pas Laurent Bigot. Du moins, je n’avais pas eu cette chance de croiser le diplomate qu’il fut. Mais à la lecture de sa dernière fournée Au Niger, l’armée affaiblie par la paranoïa de son président, paru dans Le Monde Afrique le 10 octobre, j’ai eu comme d’autres nigériens le sentiment d’un profond malaise. Pour l’ancien fonctionnaire du très sérieux Quai d’Orsay, la saillie parait légère, concoctée à la-va-vite, indigeste, gratuite à la limite haineuse.

Qui est donc Laurent Bigot ?

Laurent Bigot était un ancien diplomate au Quai d’Orsay –le ministère des affaires étrangères français- exerçant comme sous-directeur chargé de l’Afrique de l’Ouest, avant d’être limogé pour fautes graves.

Longtemps sherpa et ami d’Ibrahim Boubakar Keita (Slate Afrique, avril 2013) qu’il introduisait dans les cercles de pouvoir parisiens, le voilà qui le compare dans cette chronique à des dictateurs de la trempe de Ben Ali, Saddam Husssein, Bachar El Assad, avec sa théorie de stabilité dite apparente et durable. IBK appréciera sûrement ce revirement et ce manque de constance.


Le Niger n’est pas en reste, puisqu’avoir été éconduit d’une audience à la présidence, le voilà qui déverse sa bile sur nos institutions et non des moindres : le Président de la République et l’Armée nigérienne sont outrageusement éreintés avec des termes relevant de l’indécence. On perçoit aisément la psychologie et les intentions du personnage. L’auteur a visiblement souffert de contrariétés, lors de son passage à Niamey, en prévision de l’écriture de sa chronique pour produire cette analyse affadie. L’homme a en effet ouvert un cabinet de consultance au Maroc pour…l’Afrique de l’Ouest et il est fort à parier que ce genre de comportement n’augure en rien des égards de sympathie tout simplement par manque de diplomatie. Le comble pour un ancien diplomate ! Et ses cibles favorites s’allongent à vue d’œil, du Burkina, Mali, Cameroun et maintenant au Niger. Même la France et sa politique étrangère ne trouve pas grâce à ses yeux, pour qui « elle n’a plus de politique [étrangère] », (L’Opinion, janvier 2016)


A la fin de la lecture de cette prose, que retenir ? Un fatras de vacuité ou d’insanités au mépris de toute prudence d’usage. On se peut se poser légitimement des questions tant cette chronique est orientée, à charge et ne fournit guère des éléments factuels pouvant enrichir une réflexion sur notre pays. J’entrevois à travers ce pamphlet, le destin imagé du Radeau de la Méduse de Géricault de l’ex quotidien de référence, celui-là même qui nourrissait mon intellect et ma curiosité, il y a de nombreuses années. Cette chronique, tel le célèbre radeau du peintre se retrouve dans les vents contraires loin d’atteindre sa destination. Le Monde de Beuve-Méry, charismatique fondateur de ce quotidien du soir, ne mérite pas cela.

Ô rage, Ô naufrage, Ô message ennemi d’un articulet caricatural qui se voulait prophétique mais qui finit par mettre à mal l’armée nationale et la souveraineté du Niger, dans une période de haute tension régionale, dans un poncif désespérant.


Africanistes de tous les pays…

De nos jours, la parole se trouve confisquée sur les medias français par des africanistes galvaudés, ces « spécialistes en questions africaines » qui parlent aux noms des africains, sans avoir (souvent) jamais mis le pied sur le continent. C’est bien une spécificité typiquement française contrairement aux pays anglo-saxons. La grille de lecture de la complexité africaine s’opère suivant le prisme essentialiste habituel basé sur les différenciations ethnolinguistiques (ethnie majoritaire contre ethnie minoritaire), géo-régionale (nord opposé au sud) déjà en vigueur au début de la colonisation. Tout à l’opposé du socio-anthropologue et africaniste de conviction, l’engagé Georges Balandier, qui vient de disparaitre à 95 ans (et à qui je rends un hommage appuyé). Celui qui révolutionné les Etudes africaines (compagnon de route de Michel Leiris) et qui a initié le concept de « Tiers-Monde » avec le démographe Alfred Sauvy, a su mieux que tous dans les années 50, sentir les mutations dans les sociétés contemporaines africaines, diverses et complexes et lutter contre le colonialisme.


La prose de Bigot qui veut tout ramener à la France et à son jugement (Et que pense la France de tout ça) fait mine d’ignorer la fierté des nigériens et de leur indépendance avec l’esprit paternaliste qu’exècre justement Balandier. Elle s’embrouille dans son analyse avec un « nous » personnifié, incompréhensible et de mauvais aloi (Cet argument de la stabilité nous a coûté cher par le passé…) qui se confond avec l’Etat et la diplomatie françaises. Laurent Bigot, parle t-il au nom de l’Etat français ou en tant que citoyen français qui se confond avec son Etat ? Et on ne sait pas qui soutenait l’autre entre la Libye kadhafienne (une infâme dictature) et la France sarkozyenne (la douce démocratie) ; l’ancien président français est aujourd’hui empêtré dans l’affaire du financement occulte de sa campagne en 2007 par Kadhafi, selon le site d’investigations Mediapart. En filigrane, Laurent Bigot ose le raccourci douteux entre IBK du Mali (son ami, pourtant, dixit Slate Afrique) avec Bachar el Assad, Saddam Hussein…Mais la stabilité du Mali est aujourd’hui, tel un effet papillon, c’est aussi la sécurité de la France, puisqu’elle n’a pas hésité à intervenir à Konna pour arrêter les colonnes de djihadistes en route pour Bamako en janvier 2013.

Finalement l’article de Bigot se réduit à des propos simplistes au regard d’une situation sahélienne et nigérienne complexe : l’auteur utilise de curieux syllogismes avec des effets d’annonce sans démonstration convaincante. On ressort déçu du consultant du cabinet (bien nommé) Gaskiya car il n’y a pas de ligne directrice d’un article sensé apporter une valeur ajoutée dans la complexité sahélienne. D’attaques ad hominem à l’opération Mai Boulala en passant par le pilonnage en règle de l’armée nigérienne (FDS), il y a des pas que Bigot franchit allégrement sans les précautions d’usage qu’un ancien diplomate français se doit de connaitre, foulant ainsi la présomption d’innocence.


Un requiem pour l’Armée

L’armée nigérienne a été (et c’est un truisme) sollicitée tous azimuts pour la défense de l’intégrité et de la souveraineté du Niger. L’armée est, comme on dit, ce corps social et professionnelle qui rassemble toutes les composantes sociales du pays. En cela, elle est devenue plus républicaine, remplissant son devoir avec dévouement, bravoure et professionnalisme sur les 6 côtés géographiques de l’espace nigérien.

L’armée nigérienne, bien que forte de 12 000 hommes défend ce territoire immense avec un ratio d’un soldat pour plus de 100 km2. Laurent Bigot reconnait qu’elle est très sollicitée et que « ce pays Niger, (sic !) consacre une part croissante de ses ressources à l’armée (avec un budget multiplié par 15) ». Alors où est l’affaiblissement, où se trouve la baisse de moral de la troupe ? L’armée est un angle d’attaque facile pour qui veulent déstabiliser un Etat, cet « pays Niger » en guerre permanente contre le terrorisme et les narcotrafiquants. Personne au Niger ne savait que l’armée est en déréliction et c’est Laurent Bigot qui nous l’apprend.


Tous les polémologues et experts en question de défense sont d’avis que l’armée nigérienne fournit un investissement considérable dans la défense de l’intégrité territoriale, mais assure aussi la sécurité des autres pays ou dans d’autres nations dans la tourmente : elle est déjà présente dans le maintien de la paix en Cote d’Ivoire (ONUCI) et contre la lutte contre le terrorisme Mali (MINUSMA), Nord Niger (Barkhane) et contre Boko Haram (MNJTF). Quelque part, les FDS nigériennes contribuent à la sécurisation d’une partie du nord du continent et de l’Europe en asséchant les filières de trafics d’armes, de drogues ou de migrants qui transitaient par la Passe de Salvador (nord-ouest de Madama) et en mutualisant les opérations de surveillance et neutralisation avec les parachutistes d’infanterie de marine français du 8è RPIMa à Madama. Ce n’est pas un hasard si la chancelière allemande Angela Merkel a choisi l’étape nigérienne, ce lundi 10 octobre, pour lancer le centre de logistique censé apporter aide et assistance à la MINUSMA. Dans la lutte contre le terrorisme, l’importance du verrou nigérien est vitale pour la paix et la sécurité en Afrique occidentale.


Depuis le 11 septembre 2001, nous assistons à la fin d’un monde et le début d’un nouveau que prophétisait Samuel Huntington dans son « Choc des civilisations » paru il y a 20 ans. Près de nous, cinq ans après l’exécution de Kadhafi, facilitée par les frappes de la coalition franco-américano-anglaises sous injonction sarkozyenne, la Libye est devenue l’épicentre d’un désordre géopolitique que payent encore les pays limitrophes : pillage des arsenaux militaires, absence d’Etat et de toute autorité constituée, voilà le cocktail détonnant qu’une armée d’un pays comme le nôtre « où tout est priorité » doit gérer. Et cela, le diplomate Bigot doit le savoir et l’intégrer sûrement dans son schéma de pensée.

Tout comme, il doit encore avoir à l’esprit ce classement rigoureux (50 critères) de Global Fire Power paru en 2015 qui plaçait l’armée nigérienne au 10è rang africain. Pour une armée corrompue et affaiblie, dont le premier personnage de l’Etat souffrirait de paranoïa, cela relevait d’un miracle !


Le peu diplomate Laurent Bigot doit-il éprouver une schizophrénie caractérisée pour ne pas remarquer la montée de périls dans un environnement sahélien et maghrébin troublé : le Niger fait aujourd’hui figure d’un ilot de paix et de sécurité dans un océan d’incertitudes. Le nigérien peut être fier de l’implication pleine et sans murmures de son armée, « cette petite armée » qui lui garantit sa sécurité et son rayonnement. La prétendue « préférence militaire » n’est qu’une vue d’esprit de l’auteur qui se complait dans la rumeur. Et une rumeur ne fait jamais un bon article, ni une chronique basée en temps normal sur des éléments factuels.

Le Niger, à regarder de près, est l’un des seuls pays au monde (avec l’Iran dans une moindre mesure) à renfermer de terreaux de situations conflictogènes de haute intensité sur ses 3 espaces frontaliers : au nord, le bourbier libyen éclaté en plusieurs « principautés » (gouvernements de Tripoli, de Tobrouk et le no man’s land du sud, le tout entouré de djihadistes de tous acabits), le nord malien (squatté par les partisans d’AQMI et alliés) et le nord-est du Nigeria (où sévit Boko Haram). Par conséquent, la stabilité doit être plus qu’un objectif, mais une urgence absolue, n’en déplaise à Bigot : « pas de développement sans sécurité » clamait déjà le président Kountché dans les années 80 dans un Niger pourtant exempt de troubles extrémistes que nous connaissons à l’heure actuelle.


Les dépenses militaires ont largement grevé les dépenses de souveraineté déjà mis à mal par la conjoncture mondiale en récession : Bigot le rappelle à souhait, de la majoration des ressources allouées à l’Armée : les dépenses militaires qui étaient de 49 millions de dollars en 2010, représentent aujourd’hui presque 10 à 15% du PIB, devant les défis sécuritaires multiformes qui nous attendent. Tout gouvernement aurait certainement voulu reverser une grande partie de ces charges militaires à des dépenses sociales de souveraineté (écoles, dispensaires, agriculture…). La donne a malheureusement changé.

Sur le mur de la page facebook de Laurent Bigot, il y a pourtant cette citation intemporelle de Nelson Mandela commençant par : no one is born to hate another person… they can be taught to love…Tout un programme.


Aboubakar K. LALO

Professeur (France)

Dernier article paru : Boko Haram : leçons de guerre


Kakakiniger.net



 
 
 

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