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RÉPONSE DE JEAN-PIERRE OLIVIER DE SARDAN AU TEXTE DE HAROUNA ABDOURAMANE

  • Photo du rédacteur: Maaroupi Sani
    Maaroupi Sani
  • 11 mai 2016
  • 6 min de lecture

Cher Harouna Abdouramane, J’ai lu avec beaucoup intérêt votre lettre-réponse, qui a le grand mérite, outre la qualité de son écriture, de se situer pour l’essentiel sur le terrain d’un débat sérieux et de refuser la rhétorique déplorable des insultes et excommunications qui fleurissent chez les militants politiques des deux bords, comme on peut le voir sur les réseaux sociaux .


Je me suis promis de ne pas rentrer dans de quelconques polémiques après la publication de mon article, voulant éviter toute instrumentalisation de mes propos, mais votre réponse mérite que je réagisse tout aussi courtoisement, sur quelques points au moins. Je vous dois bien cela.


J’ai craint, je vous l’avoue, un certain dérapage en lisant les témoignages que vous donnez de deux types de réactions à mon texte émanant de vos amis du PNDS, réactions qui renforcent, soit dit en passant, le sentiment largement répandu que les cadres de ce parti acceptent fort mal les critiques (heureusement, vous prenez vos distances face à ces propos, et je vous en sais gré). D’une part, l’un d’entre eux, que vous citez longuement, m’insulte carrément, me traitant entre autres de « provocateur professionnel ».




D’autre part, vous faites état de ce que plusieurs autres mettent en cause « le contexte et la manière » que j’ai choisi pour m’exprimer et doutent de mes « intentions réelles ». Derrière ce soupçon, que divers militants du PNDS ont déjà bien vite transformé en accusations, il y a évidemment l’argument selon lequel mon texte ferait le jeu de l’opposition (malgré moi, selon les plus bienveillants, ou délibérément, selon les plus malveillants). Je précise donc « le contexte et la manière ». Au départ, c’est Le Républicain, journal très proche du PNDS que je sache, qui m’a demandé un texte sur la situation politique actuelle, peu avant la campagne présidentielle.


Le texte que je lui ai envoyé était assez proche de celui qui été publié, mais je pense depuis l’avoir nettement amélioré. Je n’ai pas eu de réponse du Républicain. Mais je l’ai montré à certains amis du PNDS, qui m’ont conseillé de ne pas le publier pendant la campagne électorale, pour justement éviter qu’il ne soit instrumentalisé par les polémiques politiques du moment. J’ai suivi leur conseil. J’ai même attendu la formation du nouveau gouvernement.


J’avoue que la déception générale face à ce gouvernement, y inclus au sein du PNDS, déception qui fut aussi la mienne, a conforté ma décision de le publier. J’ai donc relancé le Républicain, qui ne m’a pas répondu. Après une semaine d’attente, je l’ai alors envoyé à Marianne, qui m’avait aussi demandé un texte.


Je voudrais souligner, cher Harouna Abdouramane, un point que vous n’avez pas évoqué : dans mon texte je dis très clairement que l’opposition n’est porteuse d’aucun espoir, et détient une grande responsabilité dans la situation actuelle. En ce qui concerne Hama Amadou, soyons clair : je n’ai aucune sympathie politique envers Hama Amadou, et son passage au pouvoir mérite des critiques bien plus incisives encore que celles que je me suis permis d’adresser à mes amis du PNDS.


Par ailleurs, contrairement à ce que dit Lumana, je ne pense pas que le dossier sur les adoptions clandestines soit un « vulgaire montage politique », et c’est en effet une accusation sérieuse. Mais je vous rappelle que dans ce dossier Hama n’est que prévenu, comme éventuel complice, et que, n’étant pas condamné, on ne peut le considérer comme l’auteur d’une « forfaiture gravissime », comme vous le faites. Enfin, pour en finir sur cette question, certes il a été « fugitif », mais il est revenu de lui-même se mettre à la disposition de la justice, et pouvait donc légitimement bénéficier de la liberté provisoire dans une affaire où tous les autres prévenus (y compris ceux pour lesquels les charges étaient plus lourdes) avaient déjà été mis en liberté.


Je ne vous étonnerai donc pas en disant que je n’ai pas été convaincu par votre argumentation qui exonère le PNDS de toute stratégie de harcèlement et de toute responsabilité dans le climat de haine qui s’est développé. Oui, et je l’ai dit, l’opposition a une très large responsabilité (et oui, elle a été nulle dans l’affaire de Charlie-Hebdo, qu’elle a cherché à exploiter lamentablement, bien que je ne sois pas, là non plus, convaincu par le fait qu’elle aurait organisé de A à Z les incendies d’églises : d’ailleurs, si des « preuves » véritables avaient existé, des poursuites auraient été surement engagées, et à juste titre selon moi).


Mais, outre le cas de Hama, sur lequel il n’est plus très intéressant de s’attarder, la détention provisoire d’une chanteuse ou celle du médecin de Hama sont des exemples symboliques, parmi d’autres qui le sont moins, de ce harcèlement contre l’opposition que je crois avoir été une stratégie très contre-productive, quelles qu’aient été les fautes et les outrances (nombreuses) de l’opposition. Et je dis cela, croyez le bien, en me mettant autant que possible du point de vue du PNDS, qui a perdu (inutilement à mon avis) beaucoup de voix, de soutiens et de sympathies dans cette affaire. Mais je crains que, sur ce point, je ne réussisse pas à vous convaincre !


Quant aux propos ethno-régionialistes et aux appels à la violence, je suis entièrement d’accord avec vous sur leur nocivité extrême. Je suis aussi d’accord que l’opposition y a une lourde part. Mais sur ce plan le camp du PNDS n’est pas totalement indemne, et les dérapages ont aussi existé de ce côté. C’est un thème grave, qui menace l’unité nationale et la démocratie, et qui doit être traité au-delà des clivages partisans. Dans les deux camps, il y a des extrémistes, dans les deux camps il y beaucoup de Nigériens qui condamnent de tels propos, et, en dehors des deux camps, ils sont plus nombreux encore.


Sur deux points, nous sommes clairement vous et moi en désaccord. Le premier concerne la culture politique nigérienne de l’épreuve de force. Je maintiens mon analyse: c’est une plaie de notre pays (même si d‘autres pays sont aussi concernés), et notre histoire politique en fournit d’innombrables exemples : on pourra en discuter plus en détail si vous le souhaitez. Le second concerne les demi-vérités que vous considérez comme pires que des mensonges. Je pense exactement le contraire.


Personne (ni aucun parti) n’a jamais la vérité entière, et, pour ma part, je n’aurais jamais cette prétention. Même en tant que chercheur essayant d’être aussi rigoureux que possible, je ne mets à jour que des vérités approximatives, et ce sont toujours des vérités partielles. Par ailleurs, je n’avais ni la prétention de faire un bilan de cette première mandature, ni la compétence pour le tenter. Je me suis délibérément focalisé sur des « problèmes » (car ce sont eux qu’il faut résoudre) en laissant de côté les satisfecit (il y a suffisamment de gens pour les distribuer)


Mais je tiens aussi à me réjouir d’un de nos points d’accord, à savoir le « devoir d’exemplarité des dirigeants ». C’est en effet fondamental. La large déception face au nouveau gouvernement tient à ce que cette exemplarité est loin d’être au rendez-vous pour certains postes, que vous connaissez comme moi.


Le plus important à mes yeux, et peut-être aux vôtres, est la question des services publics, domaine dans lequel la gestion du PNDS a déçu les attentes de beaucoup de Nigériens. Je n’ai pas nié, comme vous semblez le dire, l’importance des réalisations quantitatives, et je n’ai jamais dit, comme vous semblez le penser, que « rien de pertinent n’a été fait en cinq ans ».


Mais j’ai dit qu’en ce domaine la qualité – aujourd’hui déplorable – est un problème capital, qui n’a pas été pris en compte par le régime actuel, pas plus que par les précédents. Les réponses de Mohamed Bazoum sur RFI sont très révélatrices de cette myopie (je précise que c’est un homme politique pour lequel j’ai de l’estime personnelle, comme j’en ai pour le Président, malgré les nombreux désaccords que j’ai exprimés). Il se défend ainsi en constatant que c’est la même chose dans beaucoup de pays africains : certes, mais justement il faut faire mieux qu’ailleurs, et ce n‘est donc pas un argument recevable !


Il trouve que ma critique est « pernicieuse » car je ferais « un procès à un seul parti » : or, j’avais pris soin de dire que les régimes précédents n’avaient pas un meilleur bilan ! Là est d’ailleurs le problème : le PNDS, sur le plan de la qualité des services publics, de la lutte contre la corruption, ou la dépolitisation, n’a pas fait mieux que les autres partis. Enfin, Mohamed Bazoum met aussi en avant le recrutement de plusieurs centaines de médecins. C’était une excellente mesure. La plus grande partie a été affectée en milieu rural.


C’était aussi une excellente mesure. Mais elle a été si mal préparée et si mal exécutée (toujours la question de la qualité…) que c’est en grande partie un échec et une occasion manquée: une grande partie de ces médecins est repartie en ville avant la fin des contrats, et une autre partie est largement absentéiste, comme le montre un rapport du LASDEL que je tiens à votre disposition, rédigé par un de nos chercheurs peu suspect d’antipathie envers le PNDS !





 
 
 

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