top of page

Mahamadou Issoufou: " l'etat islamique est a nos portes" (Interview dans Jeuneafrique)

  • Photo du rédacteur: Maaroupi Sani
    Maaroupi Sani
  • 7 janv. 2015
  • 5 min de lecture

Il a sur la question un avis très tranché : il faut, explique le chef de l'État, intervenir en Libye pour empêcher le chaos de s'étendre. Entretien avec un homme auquel ni la situation internationale ni ses opposants n'ont ces derniers mois laissé beaucoup de répit. En ce mois de décembre où la brume de saison sèche teinte l'horizon de sépia, Niamey se lève tôt. Dès l'aube, des dizaines de chantiers destinés à transformer le visage de la capitale se remettent à l'ouvrage, comme pour transcender les vicissitudes d'un destin qui a figé le Niger dans le peloton de queue des pays les plus pauvres du monde.

jeuneafrique1.jpg

Une fatalité à laquelle Mahamadou Issoufou, chef de l'État depuis avril 2011, ne se résout pas : son programme dit de renaissance économique et sociale - naissance serait sans doute un mot plus juste - est à la fois ambitieux, volontariste et axé avant tout sur le développement des infra­structures. Cet ingénieur des mines, mathématicien de formation, social-démocrate convaincu et politicien du genre résilient (il a été élu à la présidence à son quatrième essai), est un adepte de la gouvernance par objectifs : il avance avec méthode et n'hésite pas à prôner une véritable révolution culturelle dont les Nigériens auraient, il est vrai, bien besoin pour entrer dans la modernité.

Dans sa ligne de mire : la présidentielle de 2016, à laquelle nul ne doute qu'il sera candidat pour un second (et dernier) mandat de cinq ans, face à une opposition pugnace incarnée par les ex-Premiers ministres Seyni Oumarou et Hama Amadou. En première ligne sur le front de la lutte contre les groupes jihadistes au Sahel, Mahamadou Issoufou doit aussi chaque jour veiller à la sécurité du Niger et maintenir un équilibre délicat entre le respect de la souveraineté nationale et l'indispensable appui militaire français et américain, tout en gardant un oeil sur les cours en berne de l'uranium et du pétrole, les deux sources de revenus du pays.

Autant dire que Zaki ("le lion" en haoussa) n'a rien d'un fauve endormi. L'entretien qui suit a été recueilli le 18 décembre à Dosso, à 150 km au sud-est de Niamey, le jour de la fête nationale nigérienne. Après avoir présidé un défilé de trois heures et avant de s'envoler pour un sommet régional en Mauritanie, Mahamadou Issoufou s'est livré à J.A. Sincère, mais aussi prudent.

Jeune Afrique : Quel a été votre rôle exact dans la libération, le 9 décembre, de l'otage français Serge Lazarevic ?

Mahamadou Issoufou : En marge du sommet Afrique-France de l'Élysée, il y a un an, François Hollande m'a explicitement demandé de l'aider. J'ai donc remis en place l'équipe qui avait agi avec succès pour les quatre otages d'Arlit, avec notamment Mohamed Akotey et le général Koré. Il a fallu douze mois de tractations extrêmement complexes avec les ravisseurs, lesquels ont à un moment exigé une contrepartie précise : la libération de quatre de leurs détenus à Bamako.

C'était une demande très difficile à satisfaire. Mon frère, le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), et moi-même en avons longuement conféré, avant de décider d'y répondre positivement. Mais je dois ajouter, parce que je sais que cette affaire a ému à juste titre une partie de l'opinion, qu'à la minute même où ces jihadistes ont été libérés, toutes les dispositions ont été prises pour les rechercher et les arrêter de nouveau.

Vous allez les traquer, comme l'a dit IBK ?

Je confirme. Ce sont des criminels. Nous les retrouverons. Leur liberté est le résultat d'une raison d'État, mais elle n'est que provisoire.

Lors du récent forum de Dakar sur la sécurité, le président mauritanien Ould Abdelaziz a demandé qu'on cesse de verser des rançons aux preneurs d'otages. Vous êtes d'accord ?

Évidemment. Et je précise que dans les deux dossiers dont je me suis occupé, celui d'Arlit et celui de Lazarevic, aucune rançon n'a, à ma connaissance, été versée.

En êtes-vous sûr ?

J'ai dit : à ma connaissance. Maintenant, si, dans mon dos, des choses ont été faites, comment voulez-vous que je le sache ?

Le Niger est devenu l'un des hubs des opérations antijihadistes dans le Sahel. Des forces spéciales françaises et américaines équipées de drones sont basées à Niamey, mais aussi ailleurs sur le territoire. Cela ne risque-t-il pas d'entraver votre souveraineté ?

Non. Car sans les renseignements que nous délivrent Français et Américains, notre armée est sourde et aveugle face aux menaces. On peut certes regretter qu'un demi-siècle après les indépendances nous soyons toujours dépendants de pays amis pour assurer notre sécurité. J'en suis conscient et j'ai fait, depuis le début de mon mandat, beaucoup d'efforts pour relever le niveau opérationnel de nos forces, mais cela ne suffit pas encore. N'oubliez pas que le Niger est grand comme deux fois la France, avec 5 700 km de frontières à surveiller. Nous sommes ici sur un front de la bataille mondiale contre le terrorisme. Il est normal que nous mutualisions nos moyens.

Les Français vous préviennent-ils des opérations qu'ils mènent sur votre territoire ? Exemple : le raid qu'ils ont effectué le 10 octobre contre un convoi de véhicules d'Al-Qaïda au Maghreb islamique, dans le Nord...

Bien sûr, puisqu'il s'agit d'opérations conjointes. Celle à laquelle vous faites allusion participait du verrouillage de la passe de Salvador, par laquelle transitent des cargaisons d'armes en provenance de Libye et à destination du Mali. Nous l'avons conçue avec nos partenaires français.

Les groupes jihadistes trouvent refuge et s'approvisionnent dans le sud-ouest de la Libye, à vos portes. Faut-il y intervenir militairement ou souhaitez-vous privilégier une solution politique, c'est-à-dire une stabilisation interne de la Libye ? Quelle est votre position dans ce débat ?

Vous parlez de débat. Mais quand les Occidentaux sont intervenus pour renverser Kadhafi en 2011, y a-t-il eu débat ? Nous a-t-on demandé notre avis ? En aucun cas. Mon opinion est claire : nous ne pouvons pas laisser la situation dans le Sud libyen continuer de se dégrader indéfiniment. La Libye n'a pas d'autorité centrale, elle est aux mains de milices rivales et son Sud est devenu un sanctuaire pour les terroristes. À trop hésiter, c'est tout le Sahel qui, dans quelques mois, risque de se transformer en chaudron. Il faut donc une intervention militaire pour réparer les dégâts liés à la chute de Kadhafi, sinon nous aurons Daesh à nos portes.

Nous savons que des terroristes s'entraînent dans cette partie de la Libye avant de repartir combattre en Irak et en Syrie. Il y a urgence. Et c'est à ceux qui ont créé cette situation de faire le job, sous l'égide de l'ONU. Qu'on me comprenne bien : le but est de parvenir à une réconciliation nationale entre tous les Libyens, mais tant qu'il y aura des terroristes sur le sol de ce pays, ce sera mission impossible. Quand ces derniers auront été neutralisés - et le plus tôt sera le mieux -, un gouvernement d'union pourra enfin exister à Tripoli avec la participation de tous, y compris des kadhafistes.

Les dirigeants libyens - ou ce qui en tient lieu - vous ont longtemps suspecté de tolérer les activités d'anciens proches de Kadhafi réfugiés au Niger. Était-ce exact ?

C'était et cela reste faux. Ce n'est pas parce que mon pronostic sur l'avenir de la Libye, formulé dès mai 2011 lors du sommet du G8 à Deauville, s'est hélas vérifié que je me suis livré à ce type de manoeuvre.


 
 
 

Opmerkingen


Also Featured In

    Like what you read? Donate now and help me provide fresh news and analysis for my readers   

Faire un don avec PayPal

© 2023 by "This Just In". Proudly created with Wix.com

bottom of page